[] [] [] []
Chapitre suivant: Table Retour au début: Sommaire Chapitre précédent: Qui n'a pas sa   Table

Conclusion

L'économie libérale n'a pas de beaux jours devant elle

Les chiffres les plus froids le montrent: même les pratiques actuelles qui tendent à faire disparaître du réseau tout ce qui n'est pas commercial, même avec des lois qui ne protègent que les commerçants, même avec des noms de domaine réservés aux seuls marchands, ce que le public vient chercher sur le réseau c'est un contact avec autrui, une expression citoyenne différente de ce qu'il peut trouver dans le monde de spectacle et de mensonge qui l'entoure.

Les sites les plus visités dans le monde sont les moteurs de recherche, viennent ensuite ceux qui hébergent des pages personnelles. Les sites marchands, au-delà d'une poignée de spécialistes, sont beaucoup moins visités. Selon l'équipe de Statisticator13.1, les trois plus gros sites de commerce français (jeuxvideo.com, boursorama.com et consors.com) accueillent de trente mille à quarante mille visiteurs différents par jour. C'est l'audience d'un petit journal local, pas celle d'une entreprise qui vaut plusieurs milliards et qui est cotée en Bourse. Le site du Monde diplomatique, à lui seul, représente une moyenne d'environ cinquante mille pages vues par jour. Autant, sinon plus, que le site de L'Oréal et, pourtant, il ne vend rien. Un petit hébergeur de pages personnelles comme Le Village reçoit quarante-sept mille visites quotidiennes, un gros hébergeur un peu médiatique comme Respublica en reçoit plus de deux cent mille. Ce sont ces sites non marchands qui attirent le public et qui font le succès du réseau et ce sont eux que les commerçants voudraient éliminer parce qu'ils leur font trop de concurrence.

La situation du commerçant sur l'Internet est aujourd'hui celle du vendeur de souvenirs à la sortie du musée qui se plaint que le public vienne plutôt pour visiter le musée que pour lui acheter ses babioles. L'Internet montre à l'évidence que le modèle économique ultralibéral est suicidaire. En cherchant par tous les moyens à faire taire l'expression publique et citoyenne, les cyber-marchands reproduisent à l'identique leurs schémas concurrentiels dans un monde qui n'existe que par la participation de chacun et qui disparaîtrait sans la coopération de tous.

Le coup d'État permanent

Imaginez une société dans laquelle chaque citoyen pourrait publiquement dénoncer les dérives du pouvoir. Une société dans laquelle les citoyens pourraient faire pression sur leurs dirigeants en contactant facilement et directement les médias, en écrivant directement à leur député et en créant des groupes internationaux qui pousseraient dans la même direction jusqu'à ce que leurs revendications soient écoutées. Une société dans laquelle n'importe qui serait entendu pour peu qu'il apprenne à utiliser sa nouvelle liberté, à s'exprimer en public, à confronter ses idées et ses opinions à celles des autres. Où tout le monde saurait débattre, dialoguer et discuter, sans perdre ses moyens, sans crainte de se faire taper sur les doigts. Sans journaliste pour recadrer le discours et sans directeur des programmes pour choisir son message. Alors qu'auparavant nous ne pouvions exposer nos préoccupations en public qu'à l'occasion de rares manifestations de toute façon récupérées par les partis ou les syndicats.

Un site Web, même s'il n'est visité par personne, est un premier pas. Et il en existe des millions, déjà, de premiers pas. Viennent ensuite les forums publics, qui apprennent la confrontation, qui apprendront à oublier les idées prémâchées et à organiser ses arguments pour les rendre de plus en plus convaincants. Puis arrive l'envie de mettre concrètement en œuvre ces leçons de liberté, de responsabilité et d'implication. Beaucoup voudront appliquer au monde ce qu'ils auront appris de l'Internet, c'est-à-dire le partage et la responsabilité. Il n'est toujours pas interdit d'interdire, mais il est devenu presque impossible d'interdire de parler.

C'est là qu'il faut chercher et trouver l'Internet, dans la liberté d'expression rendue au plus grand nombre par un simple outil qui organise la cacophonie. L'Internet n'est sûrement pas un espace de liberté sans limites mais il est, à coup sûr, le lieu très peu commun de la liberté d'expression. Les régulateurs ont bien des soucis à se faire et, si on peut dire encore une fois «Messieurs les censeurs, bonsoir», ce sont les censeurs eux-mêmes qui devront quitter le plateau cette fois. Cette liberté, sachez la conserver, quand vous l'aurez, vous aussi, retrouvée. Quand vous aussi, vous serez enfin devenus des voleurs.



Notes

13.1
http://www.statisticator.com.

[] [] [] []
Chapitre suivant: Table Retour au début: Sommaire Chapitre précédent: Qui n'a pas sa   Table
laurent@brainstorm.fr